Les inhibiteurs de la pompe à proton en cause dans la diffusion des bactéries résistantes aux antibiotiques ?
Publié par François Javaudin, le 15 décembre 2025 10
Médicaments contre l’acidité gastrique : un rôle méconnu dans la résistance bactérienne ?
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), comme l’oméprazole ou le pantoprazole, font partie des médicaments les plus prescrits au monde. Ils sont très efficaces pour soulager les brûlures d’estomac, le reflux gastro-œsophagien ou prévenir les ulcères. Pourtant, leur utilisation massive et parfois injustifiée soulève aujourd’hui une question majeure de santé publique : les IPP pourraient-ils favoriser la diffusion de bactéries résistantes aux antibiotiques dans notre tube digestif ?
Une étude expérimentale récente apporte des éléments de réponse préoccupants .
Résistance bactérienne : une menace mondiale croissante
La résistance aux antibiotiques est considérée par l’Organisation mondiale de la santé comme l’une des plus grandes menaces sanitaires du XXIᵉ siècle. Sans action efficace, les infections dues à des bactéries multirésistantes pourraient devenir la première cause de mortalité mondiale d’ici 2050, devant le cancer.
Ces bactéries ne circulent pas uniquement à l’hôpital. Elles peuvent aussi coloniser silencieusement le tube digestif, constituant un réservoir invisible, capable de se diffuser dans la population et de provoquer ultérieurement des infections graves.
Pourquoi s’intéresser aux inhibiteurs de la pompe à protons ?
Les IPP réduisent fortement l’acidité de l’estomac. Or, l’acidité gastrique joue un rôle naturel de barrière contre les microbes ingérés. En diminuant cette barrière, les IPP modifient également l’équilibre du microbiote intestinal, c’est-à-dire l’ensemble des bactéries qui vivent dans notre intestin.
Plusieurs études chez l’homme avaient déjà montré une association entre la prise d’IPP et le portage de bactéries résistantes. Cependant, ces études observationnelles ne permettaient pas d’affirmer un lien de cause à effet.
Une étude expérimentale pour démontrer un lien causal
Pour aller plus loin, des chercheurs ont développé un modèle expérimental chez la souris, combinant antibiothérapie (amoxicilline) et exposition à un inhibiteur de la pompe à protons (pantoprazole). L’objectif était d’évaluer si les IPP favorisent l’installation durable de bactéries multirésistantes dans l’intestin.
Dans un des modèles, les souris reçoivent :
- un antibiotique courant (amoxicilline),
- puis, après l’arrêt de l’antibiotique, une courte période de récupération de deux jours,
- avant d’être exposées à une faible dose de Escherichia coli multirésistante.
Les résultats sont sans ambiguïté :
- Sans IPP : les souris éliminent totalement la bactérie résistante. Aucune colonisation digestive n’est détectée.
- Avec IPP : la bactérie résistante persiste dans l’intestin pendant au moins 12 jours, à des concentrations élevées.
La différence entre les deux groupes est statistiquement significative à tous les temps de mesure. Autrement dit, la prise d’IPP transforme une exposition transitoire à une bactérie résistante en portage digestif durable.

Pourquoi est-ce préoccupant ?
Le tube digestif agit comme un réservoir silencieux de bactéries résistantes. Une personne porteuse peut :
- transmettre ces bactéries à son entourage,
- développer ultérieurement une infection difficile à traiter,
- contribuer, sans le savoir, à la diffusion de la résistance bactérienne dans la population générale.
Cette étude montre que les IPP ne se contentent pas de modifier l’acidité de l’estomac : ils peuvent favoriser l’implantation durable de bactéries multirésistantes, en particulier après une antibiothérapie, situation extrêmement fréquente en pratique médicale.
Une question de bon usage, pas d’interdiction
Il est important de le souligner :
les inhibiteurs de la pompe à protons restent des médicaments utiles et parfois indispensables.
Le problème n’est pas leur existence, mais leur surutilisation :
- prescriptions sans indication claire,
- durées de traitement excessives,
- absence de réévaluation régulière.
On estime qu’environ une prescription d’IPP sur deux pourrait être évitée.
Un enjeu majeur de santé publique
Face à la menace croissante des bactéries multirésistantes, chaque levier compte. Cette étude expérimentale montre que :
- les IPP peuvent jouer un rôle causal dans la persistance digestive de bactéries résistantes,
- leur usage doit être raisonné, évalué et limité aux indications justifiées,
- la lutte contre l’antibiorésistance ne concerne pas uniquement les antibiotiques, mais aussi les médicaments qui modifient notre microbiote.
Mieux prescrire aujourd’hui, c’est potentiellement sauver des vies demain.
Source :
Moaligou C, Dion M, Ishnaiwer M, Dailly É, Batard É, Javaudin F. Pantoprazole promotes sustained intestinal carriage of multidrug-resistant Escherichia coli in amoxicillin-treated mice. J Appl Microbiol. 2023 Oct 4;134(10):lxad223. doi: 10.1093/jambio/lxad223. PMID: 37766396.
