Comment évaluer une politique d’emploi à destination des personnes au chômage ? L’exemple de la formation professionnelle.

Publié par Nantes Université, le 5 juin 2025   23

En 2018, le gouvernement a lancé un plan de 15 milliards d’euros dans le cadre de la « Loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel ». Il s’agit notamment de réformer la formation professionnelle à travers 4 objectifs transversaux :

  • stimuler l’engagement pour la formation des personnes les plus éloignées de l’emploi ;
  • améliorer la qualité et l’efficacité pédagogiques des formations ;
  • accroître la continuité et la cohérence des parcours de formations ;
  • répondre aux besoins de compétences des entreprises.

Cela constitue le Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC). Le PIC a été mis en place dans chacune des régions de France à travers les Plans Régionaux d’Investissement dans les Compétences (PRIC). Les régions ont ainsi été chargées de mettre en place des dispositifs de formation innovants à destination de différents publics, le plus souvent éloignés de l’emploi. Ce sont des individus qui n’ont pas accès à des opportunités d’emploi stable, de qualité et source de satisfaction à cause de leurs parcours scolaires, professionnels, ou encore pour des raisons personnelles. Il peut s’agir de jeunes ayant décroché du système scolaire, de parents isolés ou bien de personnes réfugiées connaissant un déclassement professionnel en arrivant en France. Dans ce contexte, une formation inédite a été lancée en septembre 2020 en région Pays de la Loire. Il s’agit de « Prépa Rebond - Dispositif Intégré » qui propose un programme « sans couture, ni rupture » aux personnes en demande d’emploi. L’ensemble des actions de formation est intégré en un même lieu et est organisé par un regroupement de centres de formation. Les différentes étapes, à savoir l’acquisition de savoirs de base, le travail sur le projet professionnel, la préqualification et la qualification, sont regroupées en une unité de temps, de lieu et d’action, sans rupture entre chaque étape du parcours. De plus, « Prépa Rebond - Dispositif Intégré » introduit un système de suivi par référent unique au sein de l’organisme de formation. Ce référent a pour mission d’accompagner les bénéficiaires tout au long du programme en assurant un suivi individualisé, venant ainsi limiter les risques de décrochage. Le deuxième objectif d’un tel dispositif de formation est de répondre aux besoins d’entreprises rencontrant des difficultés de recrutement, en mettant en adéquation les compétences et les emplois à pourvoir.

Une équipe de chercheurs et chercheuses[1] en économie de Nantes Université, le Mans Université et Poitiers Université a été missionnée par la Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et de la Statistiques (DARES) du ministère du Travail pour évaluer ce dispositif de formation. Mais qu’entend-on par évaluation ? L’évaluation a pour objectif de fournir aux pouvoirs publics des outils pour rendre leur action plus efficace. Elle doit fournir trois types d’informations :

  • Comment fonctionne la politique et quels sont ses effets ?
  • Ses effets sont-ils à la hauteur des objectifs ?
  • Peut-on faire mieux et comment ?

L’équipe s’est attelée à répondre à une question principale : est-il préférable d’orienter les individus au chômage vers une formation « Prépa Rebond – Dispositif Intégré » par rapport à un autre dispositif pour leur (re)intégration sur le marché du travail ? Cela revient ainsi à poser la question suivante : que ce serait-il passé pour une personne ayant participé à la formation « Prépa Rebond – Dispositif Intégré » si elle avait suivi une autre formation ? A priori, il est impossible de répondre à cette question pour une raison simple : une personne ne peut pas être dans deux états différents au même moment. Il s’agit alors de trouver un contrefactuel, c’est-à-dire des individus qui n’ont pas suivi la formation « Prépa Rebond – Dispositif Intégré » qui ont exactement les mêmes caractéristiques que les individus qui ont suivi la formation. Imaginons deux personnes jumelles qui se ressemblent parfaitement. Dans cet exemple, elles habitent dans la même ville, ont le même âge, le même nombre d’enfants, la même situation maritale, le même diplôme et le même parcours professionnel. Elles ont connu les mêmes types de contrats, ont travaillé dans le même secteur, dans des entreprises identiques et enfin, sont devenues demandeuses d’emploi le même jour. Au bout de trois mois de chômage, l’une intègre la formation « Prépa Rebond – Dispositif Intégré » et l’autre intègre un autre type de formation à la suite d’un tirage au sort. Après comparaison, les différences de trajectoire professionnelle entre ces deux personnes s’expliqueraient ainsi par le fait que l’une a suivi la formation et pas l’autre. C’est comme cela que l’on évaluerait la formation « Prépa Rebond – Dispositif Intégré » dans un monde idéal. Un tel monde n’existe pas. En revanche, les économistes disposent d’un ensemble d’outils de statistique et d’économétrie[2]. Il est ainsi possible de créer un groupe fictif de jumelles parfaitement comparables, dans lequel certaines ont suivi la formation « Prépa Rebond – Dispositif Intégré » et l’autre non. Cela a été réalisé grâce à l’exploitation de milliers de données concernant les caractéristiques individuelles des personnes en demande d’emploi, les caractéristiques locales d’où elles vivent, et leurs parcours professionnels. De cette façon, l’équipe est capable de déterminer en quoi avoir suivi la formation « Prépa Rebond – Dispositif Intégré » améliore ou non les perspectives d’emploi par rapport à une autre formation en comparant les trajectoires de ces jumelles fictives.

Les résultats de cette étude ont été publié en février 2025 par la DARES.


Coline LOUIS est doctorante à Nantes Université. Elle effectue ses recherches au sein du Laboratoire d’Economie et de Management Nantes Atlantique (LEMNA), et sa thèse s’intitule « Evaluation des dispositifs de formation à destination des chômeurs éloignés de l’emploi » sous la direction de Pierre-Jean Messe (Nantes Université) et François-Charles Wolff (Nantes Université), co-financée par Nantes Université et la Région des Pays de la Loire.


Crédits photo de couverture : © RPDL / J. Herman - Les beaux matins


[1] Coline LOUIS (doctorante, Nantes Université), Pierre-Jean MESSE (MCF, Nantes Université), Solenne TANGUY (MCF, Le Mans Université), Ahmed TRITAH (PU, Poitiers Université) et François-Charles WOLFF (PU, Nantes Université).

[2] Méthode d'analyse des données économiques qui, par l'utilisation de la statistique, s'attache à établir des relations de caractère mathématique entre les phénomènes étudiés (source : Dictionnaire Larousse)