Et si la consommation d'eau de mon voisin pouvait influencer la mienne ? L'impact des normes sociales, un nouvel instrument d'incitation !

Publié par Pauline Pedehour, le 27 octobre 2025

Des coupures d’eau au robinet, des interdictions d’arroser les jardins et de remplir les piscines, les restrictions de lavage des voitures en été : autant de situations de plus en plus fréquentes pour les consommateurs domestiques de la ressource. Face à la rareté spatio-temporelle de la ressource, les consommateurs domestiques de l’eau sont de plus en plus concernés par les restrictions et les interdictions.

L’eau : un enjeu vital pour les consommateurs domestiques

L’usage domestique représente aujourd’hui 26% de l’eau consommée sur le territoire français avec une moyenne de 148L par jour et par personne utilisée entre différents usages (douche, toilettes, cuisine, arrosage du jardin, lessive etc). Il s’agit donc d’une préoccupation sociétale et environnementale de première importance : celle de la disponibilité et de la préservation de la ressource en eau pour son utilisation domestique menacée et pourtant vitale.

En effet, l’eau représente le nouvel « or bleu » et suscite parfois de nombreux conflits inter-usages avec les utilisations agricoles ou industrielles mais aussi intra-usages. Le gaspillage de la ressource par certains individus peut générer des externalités négatives et porter préjudice aux autres consommateurs dès lors qu’il existe une tension sur son utilisation, par exemple un déficit volumétrique lié à un épisode de sécheresse ou une qualité amoindrie des masses d’eau disponibles. Et pourtant, tout cela n’est pas visible car l’eau constitue un bien principalement consommé dans la sphère privée.

Aujourd’hui, 63% des Français sont convaincus que l’on manquera d’eau de façon régulière en France d’ici quelques années ou que c’est déjà le cas[1]. Cependant, peu d’entre eux ont une réelle incitation individuelle à faire des efforts pour la préserver et beaucoup sont peu renseignés sur leur propre consommation. En effet, 84% des Français déclarent ne pas savoir combien leur coûte l’eau qu’ils consomment[2], et la facture souvent annualisée et difficile à lire reste leur seul moyen d’information. De plus, environ 40% de la population dépend d’un compteur collectif et n’est donc pas informée avec transparence sur sa propre consommation d’eau.

Une question se pose alors dans ce contexte : Comment inciter les consommateurs domestiques à faire plus attention à leur utilisation de l’eau ?

Les normes sociales : une alternative pro-environnementale complémentaire aux instruments économiques traditionnels

De nombreux outils ont déjà été expérimentés pour influencer les consommations d’eau domestiques et encourager des pratiques plus vertueuses pour la préservation de la ressource. Par exemple, il est possible d’envisager des restrictions par la mise en place de quotas individuels. Les débats récents ont également porté sur une tarification croissante de l’eau qui consiste à rendre accessibles voire même gratuits les premiers mètres cubes consommés et à faire payer de plus en plus cher les suivants. Cependant, le prix de l’eau est une variable encore complexe à appréhender pour les consommateurs. En effet, l’abonnement au système de distribution est incompressible et représente parfois une part importante de la facture. Il sert à entretenir les réseaux, aux retraitements des eaux usées, au maintien des infrastructures sur la base du principe selon lequel « l’eau paie l’eau ». Quant à la part de la consommation volumétrique, en France, l’eau coûte quelques euros par mètre cube ce qui incite peu à réduire les volumes consommés faisant du prix de l’eau un outil parfois peu incitatif. Par ailleurs, ces instruments économiques traditionnels souffrent aussi du manque d’information des consommateurs.

De nombreuses études scientifiques ont montré que les instruments de marché, les lois ou la réglementation ne sont pas toujours efficaces pour inciter les consommateurs à préserver la ressource, et peuvent même avoir des effets contre-productifs. Il est donc indispensable de trouver de nouveaux instruments ou de nouveaux leviers pour sensibiliser les consommateurs et aider à la préservation de la ressource.

D’après le Centre d’information sur l’eau[3], 76% des consommateurs domestiques se disent intéressés par la mise à disposition d’un service de suivi régulier de leur consommation d’eau à domicile. L’information est donc un premier levier et le territoire français voit se déployer dans ce sens des compteurs connectés qui donnent accès à la consommation d’eau individuelle en temps réel mais aussi parfois à celles des foyers similaires (même nombre d’occupants, taille du logement, équipements etc…) afin de donner un point de comparaison (appelées ici normes sociales). A l’heure actuelle, plus d’un foyer sur cinq bénéficie déjà d’un compteur connecté et l’objectif est de double ce chiffre d’ici 2030. Ces compteurs sont souvent reliés à une application ou un site avec un accès utilisateur qui permet au consommateur de la ressource de s’informer sur sa consommation en direct. Apportant ainsi de l’information sur la consommation individuelle et celles des autres foyers similaires, ces compteurs peuvent avoir un effet collectif vertueux sur les consommations et agir comme un « nudge » sur les consommateurs. A l’inverse, d’autres consommateurs s’interrogent sur l’aspect intrusif, culpabilisant et la protection des données personnelles de ce type de dispositif. Il est donc important d’étudier l’effet de ces normes sociales sur les consommations domestiques de la ressource.

Le rôle des normes sociales sur les consommations domestiques

Dans le cadre du projet pulsar RESEAU financé par la région Pays de la Loire, des chercheurs des Universités d’Angers et de Nantes se sont intéressés à l’impact de ces normes sociales sur les consommations d’eau domestique.

En s’appuyant sur une enquête auprès de 1565 consommateurs français représentatifs de la population nationale et équipés d’un compteur individuel pour l’eau, plusieurs effets de ces incitations sociales ont été questionnés. Dans cette étude, les répondants ont fait face à plusieurs situations hypothétiques avec des informations concernant leur consommation et celles des foyers similaires et pouvaient ajuster leurs choix de consommation en fonction des informations communiquées.

Les principaux résultats montrent que l’impact global de l’information sur la norme sociale tend à diminuer les consommations mais chez une minorité de répondants, cela peut également avoir un effet « boomerang » contreproductif qui invite les individus à augmenter leur consommation. Lorsque l’information de norme sociale est couplée à une hausse du prix de l’eau, l’effet de réduction des consommations s’amplifie et la préservation de la ressource est d’autant plus importante. Cela conforte un nouveau pan de la recherche qui consiste à combiner plusieurs instruments.

Cette enquête a aussi permis de révéler des comportements individuels différents face à cette information de norme sociale. Un répondant dit que «C'est important de voir ce que les autres consomment afin de les conseiller à améliorer leur consommation pour réduire les factures. (id 534) ». Un autre dit « je ne prends pas en compte les consommations des autres, je sais gérer ma propre consommation. (id 223) ». Enfin, un autre répondant questionne plus généralement les instruments pour influencer les consommations d’eau : « concernant l'eau à partir d'un certain nombre de m3 utilisé par foyer, que vous jugez normal ? les avoir gratuitement et taxer plus cher quand il y a dépassement et encore plus cher quand les propriétaires ont une piscine ? (id 279) ».

Cette étude a montré que si l’effet global de la mise en place de l’information de norme sociale est en faveur d’une réduction de la consommation d’eau, ce type d’information peut également générer des effets contre-productifs. Il convient donc que les gestionnaires et opérateurs de la ressource, des compteurs connectés et de la diffusion de ces technologies soient vigilants concernant leurs effets sur les comportements de consommation des usagers domestiques de la ressource.


[1] et [2] Enquête « Les Français et leurs perceptions des enjeux associés à l’eau », Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Janvier 2023.

[3] Enquête nationale « Les Français et l’eau », Baromètre 23ème édition, 2019.