L’Union européenne et la réponse aux catastrophes naturelles ou d’origine humaine
Publié par Lucie Flores, le 4 décembre 2025
Romain FOUCART
Maître de conférences en droit public, Université d’Angers, Centre Jean Bodin
Moins connue que la gouvernance économique ou la libre circulation des personnes, l’action de l’Union européenne en matière de prévention et de réponse aux catastrophes naturelles ou d’origine humaine n’a cessé de se renforcer au fil de l’accroissement des compétences de l’Union, alors même que le besoin de protéger et secourir l’homme et l’environnement par la prévention et la réponse aux catastrophes constitue à l’origine un attribut bien identifié de l’État souverain moderne. Dans le système politique de l’Union européenne, on fait référence à la politique de « protection civile » pour désigner les mesures de prévention ou de secours que requiert la sauvegarde des populations, de l’environnement ou des biens en cas de catastrophe naturelle ou d’origine anthropique.
Dès 1970, la Communauté européenne avait apporté son aide aux victimes de catastrophe dans le cadre de sa politique de coopération au développement, et les institutions ont multiplié les résolutions en faveur d’une action cordonnée sur le sujet dès la fin des années 1980. La fin de la guerre froide a permis l’émergence d’une véritable gouvernance en la matière, qui s’est peu à peu institutionnalisée. L’octroi d’une véritable compétence en la matière à l’Union date du traité de Maastricht. La protection civile est cependant mentionnée un peu en passant, à un article 3, t), TCE, qui prévoit que « l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité : des mesures dans les domaines de l'énergie, de la protection civile et du tourisme ». Cette formulation est conservée dans les versions du traité adoptées à Amsterdam, puis à Nice. Il faut attendre l’adoption du traité de Lisbonne pour que l’action en matière de protection civile, mentionnée dans les premiers articles du TFUE selon le schéma repris du TCE dans sa version de Maastricht, dispose d’une base juridique autonome. Au tournant des années 1990, l’émergence de la thématique des catastrophes naturelles va donc déboucher sur l’ajout d’une mention de la protection civile dans le droit primaire. En parallèle, cette période se caractérise par la création au sein de la Commission européenne de ECHO, un office chargé de porter assistance et secours en urgence aux victimes de catastrophes naturelles ou de conflits en dehors de l’Union. Cette aide avait été dotée d’une base juridique propre en 1996 avec le règlement sur l’aide humanitaire d’urgence. Elle constitue le volet externe de la solidarité interne en matière de catastrophe naturelle, aujourd’hui définie à l’article 222 TFUE[1]. Elle s’inscrit dans le cadre des valeurs fondamentales de l’UE, expression concrète de la solidarité internationale (article 21§2 g TUE). Cependant, il faut attendre le traité de Lisbonne pour que ECHO, entretemps devenu une direction générale de la Commission européenne, soit aussi compétent pour connaitre des catastrophes naturelles ou d’origine anthropique dans l’Union.
À l’heure actuelle, la protection civile est mentionnée à différentes reprises dans les traités. D’abord, l’article 6, f) TFUE précise que la protection civile est intégrée dans les domaines pour lesquels l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des Etats membres. Ensuite l’article 196 TFUE, détaille ce que l’Union peut faire en matière de protection civile. L’absence de base juridique propre a constitué pendant longtemps un frein au développement d’une politique européenne en matière de protection civile. Difficile cependant de considérer que l’ajout opéré par le traité de Lisbonne il y déjà plus de quinze ans ait véritablement changé les choses. La compétence plus explicite accordée à l’Union en la matière, qui fait partie des compétences d’appui de l’article 6 TFUE, ne semble guère différer des « mesures » en matière de protection civile mentionnées par les traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice. Outre l’article 196 TFUE, il faut mentionner deux autres articles du TFUE pour dresser un panorama complet de la situation. D’abord, l’article 214 TFUE qui prévoit une compétence de l’Union européenne dans le domaine de l’aide humanitaire. Ensuite, il convient pour être complet de mentionner l’article 222 TFUE et la clause dite « de solidarité », qui prévoit l’activation d’un mécanisme de solidarité en cas d’attaque terroriste ou de catastrophe naturelle ou d’origine humaine.
Une politique de l’Union européenne nécessite aussi des instruments de droit dérivé pour se déployer en pratique et produire des effets sur le terrain. Après l’octroi d’une base juridique propre à la protection civile par la réforme de Lisbonne, les institutions ont adopté la décision relative à un Mécanisme de Protection civile dans l’Union (MPCU), qui définit les activités qui peuvent être déployées[2]. Cette modification de 2013 visait aussi à répondre à la multiplication et à l’intensité croissante des catastrophes pour mieux préparer et protéger les populations. L’objectif général de ce MPCU est de renforcer la coopération entre l’Union, ses États membres et les États tiers participants. Il vise à faciliter la coordination dans le domaine de la protection civile pour améliorer l’effectivité des systèmes de prévention, préparation et réponse aux catastrophes d’origine naturelle ou humaine, sans préjudice de la responsabilité première des Etats membres de protéger leur population. N’importe quel État du globe peut solliciter l’activation du mécanisme. Le MPCU dispose de nombreuses ressources scientifiques, comme Copernicus (imagerie satellite) pour soutenir les activités de gestion de crise et améliorer la préparation nationale aux catastrophes. Chaque État participant au MPCU contribue au financement du Centre de coordination de la réaction d’urgence (ERCC) qui gère le fonctionnement du mécanisme et envoie sur place les équipements et le personnel nécessaire. Par ailleurs, des équipes spécialisées peuvent être envoyées sur le terrain, c’est ce qu’on appelle le european civil protection pool, une réserve de réponse d’urgence de personnels et d’équipements dénommés sous l’appellation « capacités ».
Ces dix dernières années de nombreux changements ont impactés la capacité opérationnelle de l’Union à répondre aux catastrophes. Cela a obligé le MPCU et les Etats membres et participants à adapter leurs activités et leur charge de travail. Depuis 2017, le MPCU a connu des modifications législatives importantes. Cette année-là, les feux de forêt dans le sud de l’Europe révèlent la nécessité de renforcer le mécanisme, car malgré de nombreux efforts, toutes les demandes d’assistance pour lutter contre les feux de forêts n’ont pu être honorées. Une décision 2019/420[3] crée une réserve européenne de ressources, appelée rescEU, qui vise à augmenter les moyens à disposition et à dépasser les réflexes nationaux qui peuvent entrainer une faiblesse de moyens disponibles pour répondre aux crises civiles. RescEU met en place une logique qui renforcer l’effectivité et l’efficacité des dispositifs existants en matière de protection civile. Cette réserve européenne s’ajoute aux capacités nationales, sans les remplacer. Les moyens acquis collectivement dans le cadre de l’instrument rescEU complètent les ressources nationales pour augmenter la force de frappe, en cas de crise grave ou de catastrophe, dans les cas où compte tenu de circonstances, il est impossible pour les capacités des Etats membres d’assurer une réaction efficace. La décision modificative de 2019, qui crée la réserve rescEU, met en place des obligations de reporting des autorités des Etats membres et des règles relatives aux demandes répétées de même matériel par le même État membre. Cependant la crise du COVID a montré que le MPCU restait dépendant des ressources nationales. Un règlement 836/2021[4] est donc adopté, qui permet à la Commission de financer directement des outils de protection civile à placer dans la réserve rescEU. Cette décision ajoute aussi des objectifs spécifiques au mécanisme MPCU, ainsi que des éléments de flexibilité budgétaire. L’instrument rescEU dispose d’un budget propre, lié au budget de l’Union, qui ne dépend pas des desideratas financiers des Etats membres abondant les capacités de réponses opérationnelles. Pour la période budgétaire 2021-2027, RescEU dispose d’un budget de plus de 3 milliards d’euros. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a entrainé d’autres développements en matière de protection civile, notamment à travers la fourniture d’équipements d’hébergement d’urgence, de groupes électrogènes ou de développement de la coopération en matière de prévention des risques nucléaires, chimiques et bactériologiques.
Le développement de la coopération européenne concernant la protection civile soulève plusieurs interrogations. La politique de protection civile de l’Union a longtemps été considérée comme un instrument au service d’autres politiques. La question qui semble se dégager est celle de savoir si l’action déployée en la matière constitue ou non une politique de l’Union, et, le cas échéant, si elle est arrivée à maturité. Les Etats membres l’Union ont pris conscience des difficultés posées par une approche purement nationale des réponses à apporter à des catastrophes de grande ampleur. Dans la mesure où le domaine de la protection civile est marqué par la souveraineté de l’État, la réponse a été d’élaborer un système de coopération dans le cadre de l’Union, sans remettre en cause les attributions de chacun d’entre eux au niveau national. Le pouvoir de l’Union apparait comme un pouvoir supplétif, qui ne peut opérer que de manière limitée. Il se limite à la coordination des actions et des politiques nationales sur le fondement d’un mécanisme commun que l’on peut difficilement qualifier de mécanisme « contraignant ». Pourtant, l’état d’avancement actuel de la politique en matière de protection civile impose de ne pas opérer de jugement hâtif. En effet, la politique en matière de protection civile dispose des éléments communément considérés comme constitutifs d’une politique européenne, à savoir une base juridique dans le traité, des mécanismes opérationnels ainsi que des instruments financiers spécifiques.
Cela soulève de nouvelles questions. Il convient en effet de se demander si les nouvelles attributions de rescEU respectent l’impératif de subsidiarité, ou encore si le mécanisme européen de protection civile et la création de RescEU équivalents à une « force européenne de protection civile » au déploiement opérationnel satisfaisant[5]. La mise en place d’un corps permanent de sécurité civile européenne est peut-être encore un peu fumeuse, mais j’aimerais attirer votre attention sur le fait que la président de la commission européenne a mentionné une ébauche en ce sens dans son discours sur l’état de l’Union. « C'est pourquoi nous proposerons la creation d'une nouvelle plateforme européenne de lutte contre les incendies, basée à Chypre, qui pourrait également venir en aide à nos voisins régionaux »[6]. Il reste à déterminer la forme juridique que cette plateforme pourrait revêtir mais cela constituerait à n’en pas douter un jalon important dans la consolidation d’une politique européenne en matière de protection civile. Le discours prononcé par Ursula Von der Leyen le 10 septembre dernier rappelle s’il en était besoin l’actualité brulante, sans mauvais jeu de mot, de la dimension européenne de la coopération en matière de protection civile face aux défis à venir. L’interrogation principale demeure celle de la possibilité d’un développement harmonieux et efficace de cette coopération, au service des populations et dans le respect du droit.
Auteur :
Romain Foucart, Maitre de conférences en droit public, Université d’Angers, Centre Jean Bodin.
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[1] Un article qui ne devait pas concerner, à l’origine au moins, la protection civile mais uniquement la lutte contre le terrorisme.
[2] Décision n ° 1313/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relative au mécanisme de protection civile de l'Union, JO L 347 du 17.12.2013 , p. 924-947.
[3] Decision (EU) 2019/420 of the European Parliament and of the Council of 13 March 2019 amending Decision No 1313/2013/EU on a Union Civil Protection Mechanism, JO L 77I, 20.3.2019, p. 1-15.
[4] Règlement (UE) 2021/836 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 modifiant la décision no 1313/2013/UE relative au mécanisme de protection civile de l’Union, JOUE L 185 du 26.5.2021, p. 1-22.
[5] F. Penverne, L’Union européenne et la protection civile, Rennes, Apogée, 2008.
[6] Commission européenne, « Discours sur l’état de l’Union de la Présidente von der Leyen », Strasbourg, 10 septembre 2025, p. 12.
