Le stockage du carbone dans les espaces verts urbains, un levier pour atténuer l'empreinte C des villes

Publié par Tom Kunnemann, le 23 novembre 2023   1k

Il est important de préserver, voire d’augmenter, les stocks de carbone dans les zones urbaines pour contrebalancer les émissions croissantes de GES des villes. Les sols et la végétation peuvent contribuer le plus à ce stockage. Les espaces verts urbains (EVU), qui représentent 25% des surfaces urbaines en Europe, constituent donc un levier intéressant.

Pourquoi il faut séquestrer du carbone ?

En raison de l’expansion mondiale des zones urbaines (168 ha par jour en France), la contribution des EVU au stockage de C est amenée à augmenter rapidement. Les pelouses et les espaces verts boisés (e.g. forêts urbaines, massifs arborés et arbustifs) sont les types d’EVU les plus représentatifs en termes de surface. Ces types d’EVU peuvent ainsi contribuer significativement à la séquestration du C grâce à la capture et au stockage du C atmosphérique dans le sol et dans la végétation.

Mécanismes de stockage

Lorsque la pelouse s’établit et se développe de manière pérenne, le C s’accumule en continu grâce à la décomposition des racines, du feutre et des feuilles. Le processus de décomposition intègre les tissus végétaux aux matières organiques du sol (résidus organiques dans le sol dans des états de décomposition variables et inférieurs à 2 mm), principalement constituées de C. Lors du processus de minéralisation, les microorganismes du sol transforment le C organique du sol en CO2. Ce processus constitue la principale sortie de C du sol.

Étant donné la décomposition rapide des résidus de tonte et des racines, le C des pelouses est majoritairement stocké à la surface du sol dans les matières organiques du sol. Contrairement aux herbacées des pelouses, les arbres stockent de grandes quantités de C supplémentaire dans leur biomasse (20% dans le houppier, 60% dans le tronc et 20% dans le système racinaire) lors de leur phase de croissance. De plus, les espaces verts boisés ralentissent l’activité de décomposition via leurs litières abondantes et difficilement décomposables (e.g. feuilles, aiguilles, ect.) et favorisent ainsi l’accumulation du C à la surface du sol. Néanmoins, l’export des litières dans la majorité des pelouses limite probablement leur potentiel de stockage de C.

Quelles sont les capacités à stocker ?

En zone rurale, les prairies et les forêts françaises présentent des SC similaires dans le sol (8 kg C m-2 entre 0 et 30 cm de profondeur) et la littérature a montré que ces SC pouvaient être du même ordre de grandeur en zone urbaine. Néanmoins, ces SC sont très variables en zone urbaine en raison de la forte hétérogénéité spatiale des sols (e.g. profondeur, teneur initiale en C) liée à leurs usages actuels et/ou passés (e.g. différences des modes de gestion, construction du sol), et qui rend l’effet de la végétation sur le SC moins perceptible qu’en milieu non urbain.

Les pelouses présentent un potentiel de séquestration de C dans le sol élevé dans les 10 premières années suivant leur implantation, allant de 0.07 à 0.14 kg C m-2 an-1. Ce potentiel reste significatif jusqu’à 25 à 30 ans après l’implantation de la pelouse. La durée de la saison de croissance végétale, le climat, le type de sol, les espèces végétales, mais surtout la gestion de la pelouse influencent fortement le potentiel de séquestration qui est inférieur (-0.03 kg C m-2 an-1) dans les pelouses non irriguées. En effet, l’irrigation et la fertilisation stimulent la production de biomasse des plantes et augmentent ainsi les entrées en C dans le sol. Toutefois, le potentiel de séquestration des pelouses peut être fortement diminué, voire annulé lorsqu’il est mis en parallèle de l’empreinte C générée par la tonte, l’irrigation et la fertilisation (e.g. combustion de ressources fossiles, traitement des eaux usées, extraction minière), cette dernière pouvant atteindre 0.63 kg C m-2 an-1. De plus, la fertilisation et l’irrigation des pelouses induisent des émissions de N2O, un puissant GES dont le potentiel de réchauffement climatique est 298 fois supérieur à celui du CO2. De nombreuses pelouses peuvent donc constituer des sources de C (sorties de C > entrées de C) si leur gestion est trop intensive.

Les espaces verts boisés (e.g. forêts urbaines, massifs arborés et arbustifs) sont des systèmes souhaitables dans la mesure où ils peuvent présenter des SC similaires aux sols de pelouses. En ajoutant le SC dans la biomasse, le potentiel de stockage des espaces boisés est supérieur à celui des pelouses. Toutefois, la quantité et la répartition du C stocké dans la biomasse peut varier en fonction des facteurs environnementaux de l’arbre (e.g. exposition, gestion). Par conséquent, il est important de distinguer le potentiel de stockage de C d’un arbre en forêt urbaine, dont la densité de peuplement élevée induit une compétition pour la lumière, de celui d’un arbre en milieu ouvert (e.g. parc, accompagnement de voirie), qui subit moins de compétition pour la lumière et qui peut être irrigué et fertilisé. Ainsi, rapporté à l’individu, un arbre en forêt urbaine contient en moyenne 4 fois moins de C qu’un arbre en milieu ouvert, avec des SC de 5.3 et 9.3 kg C m-2 respectivement. Mais rapporté à l’écosystème, la densité élevée de peuplement forestier peut induire un SC deux fois plus important en forêt urbaine que des arbres en milieu urbain ouvert. En intégrant le potentiel de stockage individuel et la densité de peuplement, la forêt urbaine et l’arbre en milieu ouvert peuvent séquestrer environ 0.26 et 0.30 kg C m-2 an-1 dans la biomasse lors de la phase de croissance. Le potentiel de séquestration d’un arbre dépend également de sa durée de vie, sa vitesse de production de biomasse et sa taille à maturité importante. À l’instar des pelouses, l’empreinte C générée par la gestion des zones boisées (plantation, élagage régulier et abattage) peut altérer leur potentiel de séquestration. Ainsi, les zones boisées les moins gérées, telles que les forêts, sont plus efficaces pour séquestrer du C que les arbres en milieu urbain ouvert.