Les enjeux du revenue management pour les PME du tourisme et de l'hôtellerie-restauration

Publié par Sourou Meatchi, le 21 décembre 2023   550

Le revenue management (RM) est une pratique très rependue dans les entreprises de services proposant des produits non stockables (transport, hébergement, activités culturelles et de loisirs, etc.). Cependant, la littérature scientifique reste «imprécise» sur la définition et les enjeux de ce concept issu de l’économie du transport aérien. En outre, une enquête auprès des professionnels du tourisme et de l’hôtellerie (Meatchi, 2019) montrent que les professionnels du tourisme ont souvent une vision parcellaire du RM. Certains considèrent le RM comme une simple tactique qui consiste à augmenter ou à baisser les prix en fonction de l’offre et de la demande. D’autres refusent de recourir à cette technique qu’ils jugent injuste pour les clients et risquée pour l’image de l’entreprise (Sahut et al., 2016). Or, de nombreuses études scientifiques montrent que le RM est une approche stratégique intéressante permettant aux entreprises du tourisme de maximiser leur taux de remplissage et leurs revenus en mobilisant certains leviers tarifaires et de gestion des capacités (quantité de services offerts). Cet article vise à proposer une conceptualisation intégrative du RM à partir d’une analyser des enjeux de cette pratique stratégique pour les entreprises disposant des capacités contraintes et soumises à une demande très fluctuante.

Dans cette optique, une étude historique des pratiques du RM est réalisée afin d’identifier les facteurs qui ont contribué à l’émergence et au développement de cette pratique managériale. Ensuite, en s’appuyant sur la littérature académique et sur les discours des professionnels, une définition intégrative et une conceptualisation holistique sont proposées. Enfin, les enjeux du RM pour les entreprises du tourisme en général et pour les petites et moyennes entreprises (PME) en particulier sont analysés.

Origines du concept de revenue management: du «yield management» dans les années 1980 au «Total revenue management» aujourd’hui

Le revenue management a été inventé aux États-Unis à la suite de la dérèglementation du transport aérien en 1978. La compagnie aérienne American Airlines est à l’origine des premières techniques du revenue management, connues à l’époque sous le nom de yield management. Cette technique (désormais, revenue management) a été créé par American Airlines dans le but d’optimiser ses recettes marginales grâce à un système de tarification flexible. Cette pratique a permis à American Airlines de faire face à la concurrence des compagnies charters qui se sont développées à la suite de la dérèglementation du marché aérien américain à la fin des années 1970. Le revenue management (RM) a également permis à la compagnie American Airlines d’augmenter ses recettes de 1,4 million de dollars sur trois ans (Kimes et Wirtz, 2015). Au regard des résultats obtenus grâce aux prix variables par unité vendue, les autres grandes compagnies ont emboité le pas à American Airlines en mettant en place à leur tour un système de revenue management. Au fil du temps, cette pratique s’est enrichie de nouveaux leviers, permettant aux entreprises de services d’augmenter leurs recettes. On est alors passé de la terminologie de yield management (gestion des recettes unitaires) à celle du revenue management qui englobe le yield management et d’autres leviers stratégiques tels que la distribution digitale, la gestion des segments de clientèles et l’optimisation des itinéraires (pour les compagnies aériennes) ou de la durée du séjour (pour les hôtels).

Aujourd’hui, le recours aux données massives (big data) permet d’établir des prévisions de la demande qui orientent les décisions et actions quotidiennes des managers et la mise en place des leviers d’optimisation du revenu. La pratique du RM s’appuie également sur des outils technologiques et informatiques très avancés (par exemple, les RMS), sur des modèles probabilistes robustes (par exemple, le modèle EMSR) et de plus en plus sur les techniques de l’intelligence artificielle (Meatchi et Camus, 2020). Ces modèles sont nécessaires pour une meilleure connaissance du consommateur-client, une segmentation plus fine de la demande, une modulation en temps réel des capacités afin d’allouer le bon prix au bon client et au bon moment (Abrate, Nicolau et Viglia, 2019). Selon Legoherel et Poutier (2017), le RM doit être total et doit reposer sur la recherche de la maximisation du revenu par la combinaison de ventes croisées de différentes prestations de service au sein d’un même centre de profit.

Depuis son origine, le RM repose sur les évolutions technologiques des systèmes d’information et le développement de modèles permettant de prévoir la demande et d’aider la prise de décision en matière d’allocation de capacité. L’utilisation du RM requiert des outils technologiques plus ou moins sophistiqués (par exemple, Excel avec une macro, RMS, outils de Machine Learning, etc.) permettant une analyse pointue des données passées et futures (modification de la demande, récurrence d’un évènement calendaire, etc.) et de déterminer ainsi un allotement prévisionnel par classe tarifaire.

Les enjeux du RM pour les entreprises de services

Les entreprises de services à capacités contraintes (compagnies aériennes, hôtels, campings, stations de ski, parcs à thèmes, etc.) sont généralement caractérisées par des charges fixes élevées (par exemple, les coûts d’entretien d’un avion, d’un hôtel, d’un bateau de croisière, d’une station de ski, etc.) et des charges variables relativement plus faibles (Capiez, 2003). Ces entreprises proposent des offres périssables et non stockables. La demande est en général très fluctuante. Elle peut fortement varier d’une période à l’autre, d’un jour à l’autre voire d’une heure à l’autre dans une même journée. Un hôtel peut refuser des clients sur certains jours (demande supérieure à l’offre) et en manquer sur d’autres jours (offre supérieure à la demande).

On peut ajouter le fait que le chiffre d’affaires d’un hôtel situé dans une ville balnéaire peut varier du simple au double selon les saisons (haute saison versus basse saison). Le taux de remplissage d’un train varie significativement selon les jours de la semaine et même, selon les heures dans une même journée. Face à ces différentes contraintes, il est difficile de pratiquer un système de tarification rigide à l’instar de ce qui se fait dans les secteurs industriels et du commerce de biens.

Mais grâce à la liberté des prix fixée par des lois en vigueur (par exemple, l’article L. 410-2 du code du commerce), le RM offre des solutions permettant aux entreprises de services à capacités contraintes de faire face aux contraintes spécifiques de leur marché. Le RM dispose des outils efficaces permettant d’adapter les stocks et les prix en fonction de la demande et en fonction d’autres paramètres tels que la concurrence, les évènements calendaires, la météo, etc. Dans le secteur du tourisme, un hôtel peut, par exemple, louer ses chambres à des prix plus élevés en période de forte demande afin d’optimiser les recettes ou pour limiter la demande qu’il n’accepter. En période creuse, le même hôtel peut proposer des prix plus avantageux afin de stimuler la demande. La pratique du RM constitue donc un enjeu crucial pour les entreprises hôtelières qui ont généralement de lourdes charges fixes, des capacités contraintes et une clientèle irrégulière. L’introduction du RM a permis à de nombreuses entreprises d’augmenter substantiellement leurs revenus. Selon un article de Wall Street Journal, l’adoption du RM a permis à la compagnie américaine Continental Airlines d’augmenter ses profits de 50 à 100 millions de dollars dans les années 2000 (Weatherford et Kimes, 2003).

Conclusion

Le RM est sans doute l’une des innovations les plus marquantes en management du tourisme au cours de ces dernières décennies. L’objectif de cet article était de proposer une conceptualisation et une définition intégrative du concept de revenue management (RM). Une étude historique des pratiques du revenue management a permis de remonter aux origines de ces pratique et d’identifier les facteurs qui ont contribué à son développement. Du point de vue théorique, la revue de littérature synthétique a permis de faire un état des lieux des connaissances sur le revenue management et de proposer une définition intégrative de ce concept. Cette nouvelle conceptualisation est importante car elle permet de proposer une définition plus consensuelle du RM et de mettre en exergue les liens et les différences avec les concepts connexes que sont le yield management et le pricing.

Les aspects conceptuels et le vocabulaire très technique du RM sont peu expliqués dans les recherches en tourisme, ce qui ne permet pas toujours d’appréhender les relations et les différences entre les notions du revenue management, du yield management et du pricing. Définir et expliquer ces concepts clés de management du tourisme permet de les rendre plus intelligibles. Sur plan managérial, cet article offre aux professionnels un vocabulaire plus précis en clarifiant les différents concepts du revenue management. Il permet de dépasser les «fausses idées» selon lesquelles le RM consiste simplement à augmenter ou à baisser les prix en fonction de l’offre et de la demande. Il s’agit en réalité d’un processus très large qui va des prévisions de ventes au contrôle des performances en passant par l’optimisation des prix et des capacités offertes (sièges d’avion, chambres d’hôtel, place de camping, etc.). Le revenue management fonctionne grâce à un ensemble de leviers et de modèles bien structurés (tarification en fonction des jours de la semaine, en fonction des historiques de ventes, en fonction des évènements calendaires, etc.).

Sourou MEATCHI

Bibliographie

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