Objet Comptant Non Identifié : Art et technologie au service de la construction du nombre
Publié par Fanny Ollivier, le 12 novembre 2025
Avez-vous déjà croisé un 4 dans la nature ? et un « quatre » ? un « IV » ?
Non … Mais vous avez probablement déjà rencontré quatre canards dans une mare, attendu 4 minutes avant le début d’un spectacle ou vous êtes interrogés sur la couleur du cheval d’Henri IV !
Nous manipulons aisément les chiffres et les nombres dans notre quotidien, au point d’en oublier que la construction du nombre ne va pas de soi. Pour construire le concept de nombre, les tout jeunes enfants doivent se focaliser sur la caractéristique numérique d’un ensemble d’objet, l’extraire du contexte et l’associer aux symboles numériques. Il faut aussi, à l’inverse, être capable d’associer un symbole numérique à la quantité correspondante. Concrètement, si l’enfant voit quatre éléphants, quatre billes ou quatre fourmis, il doit comprendre qu’il s’agit de la même quantité d’éléments, et qu’elle est représentée par le mot quatre ou le chiffre 4. Et s’il voit le symbole 4, il doit être capable de l’associer à la quantité correspondante, pour laquelle le mot ou le signe n’offre aucun indice (le 4 n’est pas constitué de quatre barres, le mot « quatre » n’a pas quatre lettres ou quatre syllabes). L’enfant peut percevoir simultanément une quantité représentée par des objets identiques (comme par exemple les gâteaux dans le gif nommé "Construction_Nb"), non identiques (comme les oreillers) ou les percevoir séquentiellement en addition (comme les paniers de basket) ou en soustraction (comme l’image mangée par 4 crocs). Quelle que soit la position des objets, le nombre ne change pas.
Construire le nombre est donc un apprentissage exigeant pour les tout-petits. Plus les expériences des enfants sont multiples entre les nombres (par exemple le mot « quatre » ou 4, qui sont des formes symboliques des quantités) et les quantités, plus le nombre est associé à une quantité précise et fiable, et plus cette association juste se renforce. À force d’expériences, le nombre et la quantité vont pouvoir être associés de façon exacte et automatique.
Cependant, on observe des difficultés dans la construction du nombre chez certains enfants dès la maternelle et les différences augmentent au cours du temps, ce qui fragilise les apprentissages mathématiques ultérieurs. Le jeu apparaît comme un levier idéal pour renforcer ces associations nombres/quantités, notamment auprès de très jeunes enfants qui présentent des difficultés.
Mes intérêts vers l’art et les technologies m’ont amenée à l’idée d’un robot. Des robots à destination des enfants et sur des problématiques d’apprentissage existent. Mais le plus souvent, ils finissent dans le fond des placards des écoles qui en ont été dotées. Il est difficile de maintenir l’intérêt vers l’interaction avec un objet au-delà de l’effet de nouveauté. Il m’est apparu intéressant d’ajouter une dimension artistique dans l’interaction entre l’humain et l’objet. C’est ainsi que l’ idée de créer un robot permettant de multiplier des expériences d’associations entre nombres et quantités avec une dimension artistique a commencé à germer, il y a plusieurs années.
L’occasion de développer cette idée s’est présentée grâce au hackathon Hack1robo, organisé par des chercheurs de l’INRIA Bordeaux. Ce hackathon met à l’honneur le dialogue entre sciences cognitives, arts et technologies. Un message de l’organisation à destination des chercheurs proposant de déposer un projet a attiré mon attention et je me suis mise en contact avec un informaticien, Frédéric Saubion, et un artiste rencontré en colloque sur les robots, Auguste Hazemann, qui ont accepté de co-porter ce projet (à retrouver ici), qui a été sélectionné par l’organisation de Hack1robo.
Quatre coéquipiers ont rejoint le projet : deux ingénieurs en informatique travaillant actuellement sur le traitement d’images issues de la vigne, Adam Cheikh Brahim et Mohamed Mabrouk ; une autrice, Lolita Marsault ; une étudiante en sciences physiques, Manon Trouffier.
Nous avons travaillé à six sur ce projet pendant un week-end intense, avec l’objectif de développer un prototype fonctionnel en un temps très court. Réflexion, création, mais aussi découpage, collage, circuits et programmation Arduino …
Mission accomplie ! Notre prototype fonctionne. Il est composé de quatre modules pour le moment, mais pourrait en contenir 127. Nous avons décidé une structure dans laquelle l’un des modules dirige les trois autres, mais leur laisse la possibilité d’une action individuelle indépendante. Nous avons cherché à solliciter des sens différents, et à rendre notre objet intrigant pour le spectateur qui est aussi acteur dans cette installation.
Notre installation peut se schématiser ainsi :

Nos vidéos sont trop lourdes pour cette plateforme mais des étudiants ont pris des photos et des vidéos qui seront mises en ligne par Hack1robo dans le courant 2026.
Lorsqu’on arrive devant l’objet, il se déclenche. Il évolue à notre approche : si on est à cinq pas d’enfants, des combinaisons variées et aléatoires de 5 points lumineux s’affichent ; à quatre pas, des combinaisons de 4 points, et ainsi de suite. À côté de l’objet se trouvent des cubes mystères. Lorsqu’on les secoue, on entend qu’ils cachent un secret et poser le cube sur la boîte révèle ce secret par un haut-parleur : « quatre » ! En essayant les autres cubes, peut-être devinera-t-on que le mystère est déjà révélé par les matières qui composent le cube … En effet, une matière différente au toucher code le nombre caché dans le cube. Une boîte nous invite à frapper à sa porte … Toc toc : elle se soulève deux fois ! Toc toc toc : elle se soulève trois fois ! Le vent souffle dans l’orgue à doigts. Des pailles peuvent être bouchées et des cheminées font voler leurs flammèches en papier. Deux pailles bouchées … Deux cheminées en action !
Le module maître est le cube mystère. Il traduit la quantité secrète cachée dans chaque cube, en son : le mot-nombre correspondant au nombre de faces en tissu du cube est diffusé. Et lorsqu’on dépose un cube mystère sur la boîte, non seulement le haut-parleur indique la quantité mais le nombre de points correspondant s’allument sur un écran de points et un autre module en carton se soulève autant de fois que de points allumés.
Chacun de ces modules peut aussi être sollicité indépendamment. Un dernier module utilise le vent. En entrée, l’enfant peut boucher des pailles avec ses doigts, et en sortie des petites bandes de papier accrochées à des cheminées volètent sur autant de cheminées que de pailles bouchées. Ce module nous a particulièrement plu par son originalité, mais n’a pas été simple à mettre en œuvre et n’a fonctionné que le temps de la démonstration !
Notre projet a remporté le premier prix du hackathon, merci aux membres du jury !
