Manger sain est-ce toujours manger bien ? Étude en psychologie sur les préoccupations pour l’alimentation saine
Publié par Nantes Université, le 25 août 2025
« Orthorexie », nom féminin, du latin ortho pour désigner ce qui est droit et juste, et du grec orexis qui signifie l’appétit. Ce mot existe depuis 1997 pour définir la préoccupation pour l’alimentation saine. Si certaines habitudes alimentaires saines sont synonymes de bien-être, d’autres peuvent être source de souffrance psychologique et d’isolement social. Pour comprendre ces différences, un travail de thèse mené au Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire (LPPL) de Nantes Université a recueilli les témoignages de 15 personnes.
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Comment bien manger ?
Vous avez sûrement en tête les messages diffusés depuis 2007 à la télévision, sur toutes les publicités alimentaires : « pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par jour », « pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré ». Ce sont des recommandations du gouvernement diffusées pour diminuer le nombre de maladies liées à l’alimentation, comme le diabète ou les troubles cardio-vasculaires. En s’adressant directement à la population, ces messages nous responsabilisent et valorisent les choix alimentaires favorables à notre santé. La cuisine healthy est devenue tendance, et s’est largement répandue dans les librairies et sur les réseaux sociaux. A l’extrême de ces bonnes pratiques se propage aussi une obsession du manger sain. Nommé « orthorexie nerveuse », ce trouble des conduites alimentaires désigne la focalisation excessive sur des règles strictes concernant la sélection et la préparation des repas. Sentiment de culpabilité, problèmes de concentrations, isolement social … les conséquences peuvent être majeures pour la personne concernée et son entourage.
L’objectif d’une étude réalisée à Nantes a été de mieux comprendre ce qui différencie les habitudes alimentaires saines favorables de celles défavorables à la santé psychologique. La recherche a été menée au laboratoire de psychologie. Dans une salle dédiée aux entretiens, le dictaphone se met en marche et enregistre les témoignages. Pour participer, quelques critères doivent être réunis : suivre un régime alimentaire sain ayant des conséquences importantes sur le quotidien, et bien sûr, être volontaire pour contribuer à l’étude. Entre avril 2023 et mars 2024, 15 personnes (11 femmes et 4 hommes) ont été reçues pour parler de leurs pensées, leurs émotions et leurs comportements en lien avec l’alimentation saine.
Une préoccupation pour sa santé … et pour la planète
Qu’est-ce que l’alimentation saine ? La raison principale de ces habitudes alimentaires est le maintien de la santé physique. « La première cause de décès en France, c'est les maladies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète. On est dans une civilisation du trop : trop gras, trop de sucre, trop tout, en fait », raconte une participante. Au cours des entretiens, une autre motivation émerge : la protection de l’environnement. « Je dirais que c'est plus sain, mais en fait, ce n'est pas plus sain pour moi, c'est plus une approche globale, je contribue à limiter l'impact carbone ou mon impact sur l'environnement », rapporte un participant. Quelle que soit la raison du régime alimentaire, deux cas de figure se présentent. Les choix alimentaires peuvent s’intégrer aux valeurs et participer à un sentiment agréable de cohérence. Dans d’autres cas, l’anxiété envers la santé ou l’anxiété climatique peut envahir la sphère émotionnelle et mener à une rigidification de l’alimentation. Le contrôle alimentaire intervient alors comme une tentative infructueuse de limiter l’impuissance face au changement climatique ou à l’incertitude de tomber malade. A ce sujet, une participante témoigne : « L'orthorexie et les troubles du comportement alimentaire sont des maladies de contrôle. Je peux contrôler mon alimentation. Ce qui se passe autour de moi, dans cette société à plus ou moins grande échelle, je me sens d'une impuissance phénoménale ».
Le plaisir alimentaire : essentiel ou optionnel pour notre santé ?
C’est ici qu’intervient une autre forme de santé : la santé psychologique. D’autres valeurs sont importantes dans la quête d’une bonne alimentation : le plaisir de manger et le plaisir de partager un repas. Ces valeurs peuvent être mises de côté dans la quête d’une alimentation saine et mener à des émotions désagréables. Lorsque les règles alimentaires sont très strictes, il y a la culpabilité de manger un aliment mauvais, et la frustration de ne pas manger un aliment plaisant. « Le chocolat, par exemple, j'ai du mal à accepter que l'envie soit aussi forte. Du coup ça peut me faire culpabiliser », raconte un participant. Ces émotions peuvent constituer des signaux pour ajuster ses choix en fonction de ses valeurs. Mais lorsqu’elles deviennent trop envahissantes, elles peuvent mener à des troubles alimentaires.
La table comme espace de convivialité et de confrontation
Dans les situations sociales, les règles alimentaires peuvent aussi être en contradiction avec l’entourage. Deux possibilités se présentent : affirmer ses choix alimentaires ou s’adapter à ceux des autres. Mais ce n’est pas toujours simple … Certaines personnes acceptent de manger un aliment pour « faire plaisir » ou « par politesse ». D’autres refusent les invitations pour éviter la confrontation. Un certain inconfort peut émerger du regard de l’autre, du jugement, de la moralisation de ce que l’on met dans son assiette. Une participante explique « Avec mes proches, mes colocataires, mon copain, tout ça, il n'y a aucun problème. [...] Après, avec la famille, c'est un peu plus compliqué. Ils ne font aucun effort. Donc, c'est toujours très désagréable ». Pour les personnes déjà anxieuses de leur alimentation, le risque est de s’isoler totalement !
De l’équilibre de l’assiette à l’équilibre de vie
Souvent, les participants ont exprimé le besoin d’être flexible et de trouver un équilibre dans leur recherche d’une alimentation saine. La plupart d’entre eux ont pu passer au cours de leur vie par des phases qu’ils qualifient de plus ou moins « rigides ». Une participante explique à ce sujet : « Je dirais qu'on prend les avantages de chaque position selon les moments. C'est plus doux, plus respectueux pour soi. C'est s'écouter avec le moment venu, le moment opportun ». Dans l’orthorexie nerveuse, il y a une difficulté à intégrer différentes valeurs dans ses choix. Les comportements sont rigides, quelles que soient les situations. Au contraire, le fait de s’adapter au contexte et respecter différentes valeurs dans l’alimentation (plaisir, partage, santé, environnement, etc.) semble être un aspect protecteur contre le développement de troubles des conduites alimentaires.
Alimentation et enjeux de sociétés
Les résultats de cette étude mènent à plusieurs questions sur la définition et la promotion de l’alimentation saine. Et si manger sain c’était prendre soin à la fois de sa santé physique, de l’environnement et de sa santé mentale ? Et quel est le rôle des politiques de santé publique dans ces enjeux ?
La santé et l’environnement sont devenus des sources de préoccupation majeures dans la société. Aujourd’hui, il semble nécessaire d’allier responsabilité collective et déculpabilisation individuelle pour y faire face. Aussi, il est impératif de reconnaître les choix alimentaires comme des choix individuels alignés à des valeurs personnelles. Si nous sommes ce que nous mangeons, nous devrions pouvoir manger ce que nous avons envie de manger, sans injonctions.
Article écrit par Camille RIBADEAU DUMAS, doctorante au laboratoire LPPL (Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire), sous la direction Anne CONGARD et Delphine ROMMEL. Les trois années de thèse ont été financées par une allocation doctorale de la Région Pays de la Loire (50%) et par Nantes Université (50%).
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