Le sang : une source de cellules immunitaires pour comprendre et traiter les maladies auto-immunes du foie ?

Publié par Nantes Université, le 14 novembre 2025

Les maladies auto-immunes du foie illustrent le dysfonctionnement du système immunitaire qui va s’attaquer aux cellules structurant le tissu hépatique au lieu de les protéger. Cependant, l’accès limité au foie des patients contraint notre compréhension des cellules immunitaires impliquées dans cette pathologie et donc le développement de thérapies spécifiques de la maladie. À Nantes, un groupe de chercheurs du Centre de Recherche Translationnelle en Transplantation et Immunologie (CR2TI) s’est alors demandé si, chez les patients, les cellules immunitaires agressives pourraient être identifiées à partir d’une simple prise de sang.

Les lymphocytes T4 : les chefs d’orchestre de la réponse auto-immune dans le foie

Notre système immunitaire nous protège en distinguant le « soi », c’est-à-dire ce qui appartient à notre organisme, du « non-soi », comme un virus qui nous infecte par exemple. Néanmoins, la protection du « soi » n’est pas sans faille puisqu’il arrive que notre système immunitaire attaque nos propres cellules comme si elles étaient étrangères à l’organisme ; on parle alors d’auto-immunité. Dans l’hépatite auto-immune ce sont les « hépatocytes », les principales cellules du foie, qui sont ciblés par le système immunitaire. Cette maladie concerne environ 20 individus de tous les âges pour 100 000 habitants par an, mais elle touche préférentiellement les femmes (3-4 femmes pour 1 homme). À ce jour, les patients atteints de cette maladie reçoivent des traitements immunosuppresseurs qui ont pour but d’endormir l’ensemble de leur système immunitaire. Cependant, ces traitements s’accompagnent de nombreux effets indésirables et leur arrêt se solde par une rechute de la maladie dans 50 à 90% des cas ; il n’y a donc pas encore de traitement curatif contre l’hépatite auto-immune. Une des pistes pour mieux traiter la maladie est de mieux comprendre les cellules immunitaires agressives chez les patients.

Figure 1 : Le rôle des lymphocytes T4 dans une réponse immunitaire antivirale et dans l’hépatite auto-immune. Illustration réalisée sur Biorender.com.

Les cellules immunitaires sont plus communément appelées globules blancs. Au sein de ces globules blancs, on retrouve plein de cellules différentes qui ont chacune des fonctions précises. Par exemple, dans le cas d’une infection virale, les lymphocytes T4 ont un rôle clé dans l’élimination du virus. Ils lancent l’alerte et aident certains de leurs partenaires à s’activer afin d’empêcher la progression de l’agent infectieux dans l’organisme (Figure 1). Parmi ces partenaires, les lymphocytes T8 sont des assassins spécialisés dans la destruction des cellules infectées, et les lymphocytes B sont des archers : ils produisent des anticorps capables d’aller neutraliser et emprisonner le virus (Figure 1). Dans l’hépatite auto-immune, le même genre de cavalerie immunitaire cible et détruit les cellules du foie. Cela suggère alors que les lymphocytes T4 agressifs chez les patients sont des acteurs centraux de l’inflammation qui se produit dans le foie (Figure 1). Cependant, identifier les lymphocytes T4 responsables de la maladie n’est pas une tâche facile notamment pour deux raisons. La première est qu’il existe plusieurs sous-types de lymphocytes T4 mais que l’on ne sait pas le ou lesquels font partie de la fête. La seconde est que le foie des patients est très peu accessible : seulement un morceau plus petit qu’une allumette coupée en deux est prélevé pour le diagnostic, ce qui limite fortement l’étude des cellules immunitaires locales, en plus d’être un acte très désagréable pour le patient. À l’inverse, la prise de sang, elle, est peu invasive, répétable et permet de collecter un volume important de cellules immunitaires. Existe-t-il alors, dans le sang des patients atteints d’hépatite auto-immune, des lymphocytes T4 agressifs qui pourraient nous renseigner sur la maladie ?

L’identification de lymphocytes T4 agressifs dans le sang des patients atteints d’hépatite auto-immune

Comment pouvons-nous identifier les lymphocytes T4 agressifs dans le sang des patients ? Pour répondre à cette question, nous avons besoin de comprendre par quel moyen un lymphocyte T4 décide de lancer une alerte.

Figure 2 : Dans le sang des patients atteints d’hépatite auto-immune, on retrouve des lymphocytes T4 agressifs qui reconnaissent spécifiquement un morceau d’hépatocyte avec un profil unique. Illustration réalisée sur Biorender.com.

Chaque lymphocyte T4 est équipé d’un « récepteur T » à sa surface, capable de reconnaître de façon ultra-spécifique un morceau protéique présent à la surface d’une autre cellule (Figure 2). Ainsi, les lymphocytes T4 qui nous protègent d’un virus ont un récepteur T spécifique d’un morceau de ce virus. Cela veut aussi dire que les lymphocytes T4 qui attaquent le foie des patients atteints d’hépatite auto-immune ont un récepteur T qui reconnaît spécifiquement un morceau de la cellule du foie qui est ciblée ; l’hépatocyte (Figure 2). En partant de ce principe, notre stratégie a alors été d’extraire les globules blancs présents dans le sang des patients, de les mettre en contact avec des morceaux d’hépatocytes et de voir si nous détections des lymphocytes T4 qui reconnaissent ces morceaux. Et en effet, nous avons pu montrer que les patients atteints d’hépatite auto-immune ont des lymphocytes T4 agressifs dans leur sang (Figure 2).

Maintenant que l’on sait qu’il est possible de détecter des lymphocytes T4 agressifs dans le sang des patients, il est intéressant de déterminer à quoi ces cellules ressemblent pour comprendre leur impact dans la maladie. Pour cela, nous avons utilisé des technologies de pointe qui nous permettent d’attribuer, à chaque cellule unique, un profil en fonction de « l’expression de leurs gènes », en d’autres termes en fonction de ce qu’elles ont dans le ventre. Et grâce à cela, nous savons maintenant que les lymphocytes T4 agressifs présents dans le sang des patients ont un profil unique, bien différent du profil des lymphocytes T4 qui combattent les virus (Figure 2). Toutefois, bien que ces lymphocytes T4 circulent dans le sang des patients, ont-ils véritablement un lien avec la maladie et le foie des patients ?

Le lien des lymphocytes T4 agressifs sanguins avec le foie des patients atteints d’hépatite auto-immune

Une partie des globules blancs qui circulent dans notre sang passent à travers les tissus avant de retourner dans le sang, afin de vérifier qu’il n’y ait pas de danger mais aussi de combattre au plus vite la menace s’il y en a une. Cependant, il est très compliqué de prouver qu’une cellule présente à un point « A » (le sang) est passée par un point « B » (le foie). Pour autant, on a tenté de relever le défi.

Puisqu’on a réussi à déterminer le profil des lymphocytes T4 agressifs dans le sang des patients, on a pu l’utiliser à notre avantage. On s’est d’abord demandé si ce profil ressemblait à celui des lymphocytes T4 qui infiltrent les tissus pour affronter les menaces locales. Pour cela, nous avons eu besoin de comparer notre profil agressif avec plusieurs autres études publiées dans le monde entier. Et grâce à cela, on a remarqué que les lymphocytes T4 agressifs présents dans le sang des patients sont probablement passés par un tissu (Figure 3).

Ensuite, il fallait montrer que le tissu en question était bien le foie. Pour cela, il est important de comprendre qu’un lymphocyte T4 se multiplie après que son récepteur T ait reconnu un morceau protéique, ce qui donne donc plusieurs lymphocytes T4 avec un récepteur T identique ; autrement dit plusieurs lymphocytes T4 avec une seule et même « carte d’identité » (Figure 3). Afin de savoir si les lymphocytes T4 agressifs présents dans le sang proviennent du foie, on s’est demandé si leurs cartes d’identité sont aussi retrouvées dans le foie. Pour cela, nous avons eu la chance d’avoir accès à un prélèvement sanguin et à un petit prélèvement de foie chez 4 patients atteints d’hépatite auto-immune. Cela nous a permis de scanner les cartes d’identité présentes dans le foie et, en parallèle, de scanner à la fois les cartes d’identité et le profil des lymphocytes T4 présents dans le sang des patients (Figure 3). Et en comparant ces renseignements, nous avons pu conclure que les lymphocytes T4 agressifs circulant dans le sang des patients avaient de très fortes chances de provenir du foie, puisqu’un grand nombre de ces cellules sanguines possédaient une carte d’identité aussi retrouvée dans le foie (Figure 3).

Figure 3 : Les lymphocytes T4 agressifs sanguins dérivent probablement du foie. Illustration réalisée sur Biorender.com.

Quelles sont les perspectives envisagées grâce à ces avancées ?

Dans cette étude, nous avons pu montrer que des lymphocytes T4 agressifs circulent dans le sang des patients atteints d’hépatite auto-immune et que ces cellules sont issues du foie. Ces avancées offrent l’opportunité d’isoler facilement un type de globules blancs important dans la maladie à partir d’une simple prise de sang chez le patient. Ainsi, nous pouvons imaginer que l’accès facilité à ces lymphocytes T4 va nous permettre de mieux comprendre leur mode d’action pour, à terme, identifier des composés capables de diminuer spécifiquement l’agressivité de ces cellules chez les patients. Une autre débouchée possible de ce travail serait que le suivi de l’abondance des lymphocytes T4 agressifs dans le sang des patients au fil du temps puisse informer sur l’évolution de la maladie, la réponse au traitement ou encore le risque de rechute ; un aspect qui est en cours d’étude dans notre équipe.

Par ailleurs, les résultats obtenus dans ce travail mettent en perspectives de nouvelles questions de recherche fondamentale. Nous pouvons nous interroger sur la présence de ces lymphocytes T4 agressifs dans le sang : pourquoi ne sont-ils plus dans le foie ? Ont-ils fui de l’organe de manière passive ou active ? Sont-ils rejetés du foie ou cette recirculation participe-t-elle au maintien de la réponse inflammatoire dans le foie ? Enfin, le ou les facteurs déclencheurs de l’hépatite auto-immune n’ont pas encore été découverts à ce jour. Le lancement de nouveaux projets de recherche pourrait nous permettre de mieux comprendre comment les maladies auto-immunes du foie sont initiées et à quel(s) niveau(x) ces lymphocytes T4 agressifs jouent-ils un rôle.


Ces travaux sont tirés d’une étude publiée en janvier 2025 dans la revue scientifique Nature Communications, disponible en libre accès avec le lien suivant : https://doi.org/10.1038/s41467-025-56363-2

Article écrit par Thomas GUINEBRETIÈRE, doctorant au laboratoire CR2TI (Centre de Recherche Translationnelle en Transplantation et Immunologie), sous la direction de Sophie CONCHON et Amédée RENAND. Les trois années de thèse ont été financées par une allocation doctorale de la Région Pays de la Loire (50%) et par l’INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale) (50%).