Nos aliments sous la loupe : détecter les contaminants pour mieux nous protéger

Publié par Cassandre Jeannot, le 24 novembre 2025   19

Dans un monde où chaque individu est quotidiennement exposé à une multitude de substances issues de l’alimentation, de l’environnement ou des pratiques industrielles, évaluer ces expositions — regroupées sous le concept d’exposome — devient indispensable pour comprendre leurs effets potentiels sur la santé. Pourtant, une grande partie de ces composés ne sont pas inclus dans les systèmes de contrôle actuels. Ce constat représente l’un des grands défis scientifiques actuels, et a motivé ces travaux de recherche menés au LABERCA (Oniris VetAgroBio, Nantes) et à l’ANSES (Maisons-Alfort). Ma thèse s’inscrit ainsi dans cette dynamique d’innovation analytique visant à renforcer la sécurité sanitaire et la protection des consommateurs.

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L’exposome : de quoi parle-t-on ?

Chaque jour, sans même y prêter attention, nous sommes exposés à une multitude de substances chimiques. L’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les aliments que nous choisissons, mais aussi notre mode de vie, nos environnements de travail ou les contraintes sociales auxquelles nous faisons face… Ces facteurs s’additionnent jour après jour et influencent la manière dont notre corps se développe et réagit aux environnements et substances qui l’entourent. L’exposome est un concept introduit en 2005 par Christopher Wild, lorsqu’il était directeur du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC). Il désigne l’ensemble des expositions auxquelles une personne est soumise tout au long de sa vie. Variées et souvent combinées, ces expositions influencent notre état de santé et notre risque de développer certaines pathologies.

Comprendre l’exposome chimique alimentaire pour guider la prévention de demain

Parmi toutes les expositions auxquelles nous faisons face au quotidien, celles liées à l’alimentation occupent une place centrale. Les aliments servent en effet de vecteurs à une grande diversité de substances : résidus de pesticides, polluants environnementaux, traces de médicaments, additifs, composés créés lors de la cuisson ou encore molécules issues des emballages. Ils peuvent aussi contenir des contaminants naturels, comme des alcaloïdes ou des mycotoxines. Cette diversité illustre la complexité de l’exposome alimentaire, mais aussi l’intérêt de mieux comprendre ce qui, au-delà des éléments nutritifs et bénéfiques, se retrouve réellement dans notre organisme.

Les enjeux associés aux recherches sur l’exposome chimique sont considérables. Ces composés chimiques présents dans notre environnement et dans nos assiettes peuvent contribuer au développement de nombreuses maladies chroniques. Et avec des centaines de milliers de substances désormais mises sur le marché, il devient indispensable de hiérarchiser les risques et d’identifier celles qui nécessitent une vigilance accrue. Mieux caractériser ces expositions est un levier essentiel pour orienter les politiques de prévention et renforcer la protection de la population.

Des composés réglementés… aux composés inattendus

Une partie des substances chimiques présentes dans les aliments est bien connue et surveillée. Elles ont fait l’objet d’un processus complet d’analyse du risque : évaluation toxicologique, limites réglementaires, contrôles officiels. Ces composés — pesticides courants, certaines substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), mycotoxines majeures, additifs encadrés — ne représentent qu’une sélection des molécules de ces familles, mais sont surveillés pour garantir la protection des consommateurs. Mais elles ne représentent qu’une fraction de l’ensemble des substances chimiques auxquelles nous pouvons être exposées. De nombreux autres composés restent mal caractérisés, insuffisamment étudiés ou tout simplement inconnus. Pour les identifier, les approches dites ciblées, qui ne recherchent que des molécules connues et bien étudiées, ne suffisent pas. Il est donc nécessaire d’utiliser des approches plus globales, aussi connues sous le nom de méthodes non-ciblées, qui explorent l’échantillon sans liste préétablie de substances à rechercher.

C’est précisément l’objectif de ce projet de thèse : élargir le nombre de substances identifiées, en allant au-delà des composés déjà recherchés.

Et en pratique ? La première étape du protocole développé consiste à mettre au point une préparation d’échantillon capable d’extraire un éventail le plus large possible de composés chimiques présents dans l’aliment étudié. Les extraits sont ensuite analysés par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse haute résolution (LC-HRMS). Cette technique permet d’acquérir, sans apriori sur l’identité des contaminants, un très grand nombre de signaux correspondant à différentes substances. Enfin, une stratégie de traitement des données permet de filtrer ces nombreux signaux, d’en extraire les plus pertinents et de hiérarchiser ceux susceptibles de correspondre à des composés d’intérêts, dits émergents.

Nouvelles découvertes, nouvelles perspectives : vers une vision élargie de la contamination alimentaire

Après trois années de thèse, les développements méthodologiques réalisés permettent de mettre en place des stratégies analytiques capables d’aller bien au-delà des composés traditionnellement surveillés. Grâce à ces approches non ciblées, nous avons identifié une grande diversité de substances : pesticides, résidus de médicaments, composés industriels, mais aussi des PFAS, ces contaminants émergents aujourd’hui au cœur des préoccupations sanitaires. Parmi eux, la détection de l’acide perfluoropropionique (PFPrA) constitue une avancée majeure : à notre connaissance, ce PFAS n’avait jamais été signalé dans les aliments auparavant. Son occurrence a été étudiée dans un large panel d’échantillons issus du commerce— œufs, produits de la pêche, carnés et laitiers — révélant sa présence dans près de la moitié d’entre eux. Ces résultats démontrent la capacité des stratégies développées à révéler des contaminants jusque-alors non-recherchés.

Les outils analytiques et les stratégies développés dans le cadre de ce projet sont aujourd’hui déjà intégrés dans les travaux des équipes des deux laboratoires où la thèse a été menée. Les résultats produits peuvent aider à orienter les recommandations de recherche complémentaire des pouvoirs publics (par exemple en surveillant davantage le PFPrA ou en étudiant sa toxicité). Ces développements constituent une base solide pour enrichir la compréhension de l’exposome chimique alimentaire et renforcer la protection des consommateurs dans le futur.

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Une partie de ces travaux a été publiée en 2025 dans le journal scientifique Food Chemistry: X, disponible en libre accès avec les liens ci-après : https://doi.org/10.1016/j.fochx.2025.102674 et https://doi.org/10.1016/j.fochx.2025.102843

Article écrit par Cassandre JEANNOT, doctorante au LABERCA (Oniris VetAgroBio, Nantes) et au LSAl (Anses, Maisons-Alfort), sous la direction de Gaud DERVILLY et Julien PARINET. Les trois années de thèse ont été financées par une allocation doctorale de la Région Pays de la Loire (50%) et par l’ANSES (50%), inscrite à l’École Doctorale Biologie-Santé, discipline Santé Publique.