Le corps humain soumis à l'espace

Publié par EchoSciences Pays de la Loire, le 13 juillet 2023   650

Les résultats obtenus par la conquête de l’espace sont-ils à la hauteur des risques encourus par tous ces aventuriers, qu’on les nomme astronautes, cosmonautes, spationautes, taïkonautes… Le jeu en vaut-il la chandelle ?

La traversée de l’atlantique par Christophe Colomb en 1492, dépendait de ses capacités de navigation, mais aussi de la qualité de ces hommes, de leur faculté d’adaptation à la promiscuité, au mal de mer, aux tempêtes.

Dans l’espace, si on retrouve des risques semblables, les conditions ne sont pas exactement les mêmes en raison de l’absence de gravité. Les effets sont souvent différents au niveau physique.

Remerciements :

  • Pr Marc Antoine Custaud: CRC CHU Angers, Laboratoire Mitovas, UMR CNRS 6015, INSERM 1083, Université d’Angers.
  • Pr Benoît Bolmont Laboratoire Lorrain de psychologie et Neurosciences de la dynamique des comportements ( 2 LPN, EA 7489) Université de Lorraine, Metz

Livre de référence pour cet article « L’ Humain et l’espace » de Marc-Antoine Custaud, Stéphane Blanc, Guillemette Gauquelin-Koch, Claudie Gharib Références qui ont permis l’article qui suit.

Conséquences psychologiques et sociales

Comment vivre dans un endroit de taille réduite pendant des laps de temps assez longs, sans avoir un risque de conflit ; ce qui faisait dire à Rouymin, cosmonaute soviétique dans les années 70 : « Toutes les conditions nécessaires pour un meurtre sont réalisées en enfermant 2 hommes dans une cabine de 18 pieds sur 20 et en les laissant ensemble pendant 2 mois » Saliout 6 .

D’ailleurs une mutinerie semble avoir eu lieu en 1973 lors d’une mission Skylab III (Séjour du 16 novembre 73 au 08 février 74) au cours de laquelle les cosmonautes ont coupé sans autorisation les communications, quelques heures, en raison d’un excès de tâches à accomplir.

Un autre se sentait exclu du groupe en raison probable de nationalités différentes dans la station MIR.

Comment ne pas avoir un minimum de stress quand on regarde la liste des victimes des vols passés, des erreurs techniques ou humaines ? Glen n’a-t-il pas voulu retarder son départ tant que la calculatrice, Katherine Johnson, refasse les calculs de la trajectoire (Frienship7) alors que l’informatique commençait à être fiable.

Un humain dans l’espace reste un humain dans ces domaines ; instinct grégaire, mais jusqu’à un certain point.

Conséquences physiques : elles sont liées à la microgravité

Conséquences cardio-vasculaires : Il suffit de se relever trop vite d’une position allongée pour en faire une expérience

Dans l’espace, enfermé dans un véhicule, comme dans la station spatiale, le corps humain flotte (station et corps sont soumis à la chute gravitationnelle et la force centrifuge liée à la vitesse de 28000 km/h ; ce qui les maintiennent sur l’ orbite quelque soit l’altitude). Le corps humain n’est plus stimulé au niveau musculaire, que ce soit au niveau des muscles squelettiques ou au niveau du muscle cardiaque, des muscles lisses. Pourquoi le corps se fatiguerait-il ? L’adaptation se fait assez bien en haut, mais au retour les choses ne se passent pas de la même façon.

Le système cardio-vasculaire s’adapte relativement bien et de façon paradoxale à cet environnement, les contraintes imposées étant finalement plus faibles que sur Terre

Pr M-A Custaud

La distribution des liquides dans les artères, les veines, ne bénéficie plus de la correction rapide des muscles situés dans la paroi des artères, ni de l’adaptation des veines moins musclées, trop longtemps au repos et passifs. Ce qui entraine une redistribution des pressions, des liquides intra et extra cellulaires et une chute de tension, des risques de phlébites, d’œdème papillaire au niveau du nerf optique. Le cœur s’accélère pour rétablir la pression, mais avec des risques de troubles du rythme cardiaque, donc de phlébite et embolies pulmonaires. L’organisme n’a plus le même pouvoir d’extraction de l’oxygène dans le sang artériel (diminution de la VO2max tant connue des sportifs de haute compétition).

L’augmentation du volume sanguin au niveau du cœur entraine une inhibition de l’hormone anti diurétique (ADH) responsable d’une augmentation du volume urinaire, sous l’influence d’une dilatation de l’oreillette droite (Réflexe de Gauer-Henry) associé à une inhibition du système rénine-angiotensine-Aldostérone.

Un œdème du visage (bouffissure) apparaît les premiers jours du vol.

Le volume cardiaque se modifie avec diminution du ventricule gauche et du volume d’éjection : la pompe fonctionne mal.

Conséquences sur l’équilibre

Plusieurs organes interviennent sur Terre, pour maintenir notre équilibre :

  • L’oreille interne et ses vestibules avec canaux semi-circulaires orientés dans les 3 dimensions de l’espace. Imaginez le fond de la mer où les algues suivent la direction des courants comme dans les canaux semi-circulaires, où des cils sensitifs qui baignent dans du liquide, suivent les positions de la tête, communiquant ainsi des informations au cervelet.
    La sensibilité profonde : il suffit de se déplacer dans une pièce non éclairée, où on ne voit rien, mais qu’on connait bien, pour y retrouver l’interrupteur.
  • La vue aussi sert à nous tenir en équilibre.
  • Le cervelet et le système nerveux autonome ‘système sympathique) sont également concernés mais demandent des connaissances médicales pour mieux comprendre. Quand il n’y a plus de gravité, ni haut, ni bas, les capteurs sont un peu perdus. Un plafond peut se ressentir comme plus haut quand on a la tête vers le bas que lorsqu’on le regarde la tête vers le haut. Dans l’ISS, il faut un temps d’adaptation pour apprécier les distances.

Conséquences sur la vue

Une diminution de l’acuité visuelle de près est constatée chez certains astronautes avec un risque d’œdème papillaire.

Conséquences sur le squelette

L’os est soumis à un cycle de formation (ostéoblastes) puis de résorption (ostéoclastes). Lors des vols de longue durée, il y a un risque d’ostéoporose, de fragilisation de la trame osseuse et de fuite de calcium dans les urines (risques de calculs). Si notre taille augmente dans l’espace, comme sur Terre quand nous sommes couchés, elle revient à sa norme quand on se lève le matin, comme lors du retour sur Terre, mais les cosmonautes ne semblent pas récupérer totalement des dégâts de l’ostéoporose : jusqu’à 11% de la masse osseuse des membres inférieurs est à récupérer.

Troubles du sommeil

Les astronautes subissent un passage nuit/jour toutes les 90 minutes.

Conséquences hormonales et physiologiques

Mélatonine, Testostérone, pression artérielle, température corporelle, mouvements intestinaux, efficacité cardio-vasculaire ont des cycles nycthéméraux.

Conséquences des radiations

Mal connues dans l’espace, elles dépendent autant des rayonnements que de l’individu :

  • Radio sensibilité : Brulures, dermites, rectites
  • Radio susceptibilité : Cancers-induits (atteintes génétiques)
  • Radio dégénérescences : Cataracte, Vieillissement

Une dose de 400 µGy (dose reçue par jour de mission spatiale) est :

  • 5000 fois plus faible que celle reçue lors d’une séance de radiothérapie (2Gy).
  • 100 fois plus faible que lors d’un scanner tête thorax. • 10 à 20 fois plus faible que lors d’une mammographie.
  • 10 à 20 fois plus élevée que celle reçue lors d’une radiographie panoramique dentaire.

En 1 an dans l’espace, la dose reçue est égale à celle reçue à Ramsdar en Iran (radioactivité naturelle) pendant 1 ½ ans (Perez et Coll.2013) Une dose est léthale à partir de 4,5 Gy. 4.

Autres conséquences

Le système immunitaire est touché :

  • Exemple : « Le virus de l’herpès a été identifié chez 61% des astronautes en mission longue (au-delà de 180j à bord de l’ISS). C’est nettement plus que chez les mêmes astronautes avant ou après leur mission ou que dans une population témoin © Tatiana Shepeleva, Fotolia »
  • Le vieillissement s’accélère,
  • Diminution de la formation des globules rouges,
  • Risque de diabète (résistance aux effets de l’insuline)
  • Risque d’hypertriglycéridémie
  • Stockage des graisses dans différents organes : Foie, Muscles, Os 5. 

Pour palier toutes ces conséquences…

Des chercheurs vont tester le matériel, suivre les candidats au voyage lors d’expériences individuelles ou collectives pour prévenir les dégâts dans les dimensions émotionnelles et environnementales, cognitives, sociales, physiques à travers des programmes ICE (Isolated Confined Extreme), prendre des contre-mesures.

Exemples :

  • Station Concordia Franco Italienne pôle sud
  • Aquarius Reef Base (NASA) • Hayghton Mars, sur l’ile Canadienne de Devos, au nord du cercle polaire dans un cratère d’impact (© Lorenzo Fluekiger via New York Times)
  • Mars Desert Research Station (MDRS) (Utah), simulation de la vie dans un habitat sur Mars
  • Mission sur l’île d’Hawaï sur le volcan Mona Loa depuis 2013, simulation de la vie dans un habitat sur Mars

Pour quels bénéfices de la conquête de l’espace ?

Des améliorations techniques

  • Le GPS, le système Galiléo, les télécommunications, les prévisions météo.
  • Scanner et Imagerie médicale.
  • Couverture de survie (Mylar).
  • Velcro, bras robotisé.
  • Matériaux isolants, plus solides et légers (Prothèses, fauteuils roulants).
  • Protection des rayonnements.
  • Capteurs CMOS.
  • Textiles ignifugés (Kevlar).
  • Détecteurs de fumée.
  • Teflon (Poêles).
  • Airbag.
  • Filtres bleus de nos lunettes.
  • Développement des ordinateurs.
  • Et même les couches culottes !

Des améliorations sur la santé et la prise en charge dans des situations terrestres analogues :

  • Plateformes de forages
  • Stations d’observation ou de contrôle (radar par exemple)
  • Sous mariniers
  • Prisons

Une prise de conscience de la fragilité de la terre !

André Ségrettin : Médecin Généraliste retraité, Pdt de « Ciel d’Anjou »
Denis Lemercier, Michèle Boulidard