Contre les douleurs dans le BTP, est-ce efficace de faire des exercices physiques au travail ?

Publié par Hélène Biton, le 22 novembre 2023   710

Caitlin Troussier-Thévenot, Université d'Angers

Des douleurs au niveau de l’épaule, du coude, des articulations des membres inférieurs ou encore du dos… Les troubles musculosquelettiques ou TMS regroupent de nombreuses pathologies des tissus mous de l’appareil locomoteur. Liés aux activités professionnelles, leur nombre demeure élevé et notamment dans le domaine du bâtiment et des travaux publics (BTP). Ainsi, les TMS se situent à la première place des maladies professionnelles reconnues en France et représentent 87 % d’entre elles.

Ces maladies ont des conséquences sur le salarié et sa qualité de vie, mais aussi au-delà : absentéisme, pertes de compétences, sursollicitation des autres collaborateurs dont l’encadrement, pertes de performances, coûts pour l’entreprise et la collectivité, etc. La prévention des TMS représente donc un fort enjeu social et économique, au-delà de la santé au travail, que l’intensification du travail, le vieillissement de la population et les difficultés de recrutement ne font aujourd’hui que renforcer.

Échauffements et renforcement musculaire sur les chantiers

Face à ce fléau durable, les entreprises mettent en œuvre de nombreuses actions, qu’elles soient techniques, organisationnelles ou humaines (en passant par la formation par exemple). Elles expérimentent également des solutions « innovantes ». Parmi celles-ci, figure la mise en place d’exercices physiques sur le lieu de travail.

Les exercices sont destinés à favoriser la capacité des travailleurs à effectuer la tâche demandée puis à récupérer après l’avoir réalisée. Toutefois, cette pratique pose de nombreuses questions auprès des acteurs de la prévention et rien n’en montre aujourd’hui l’efficacité pour prévenir les TMS.

Depuis quelques années, la pratique d’exercices physiques au travail se développe, particulièrement sur les chantiers des entreprises du BTP. Inspirée des méthodes japonaises ou encore de la pratique sportive, il s’agit le plus souvent d’échauffements, de réveil ou de renforcement musculaire ou encore d’étirements. Les principaux objectifs annoncés sont de réduire la survenue des TMS, mais aussi et parfois de réduire les accidents de travail (AT), plus particulièrement ceux qui surviennent durant l’heure qui suit la prise de poste (chute de plain-pied, lombalgies…).

Face aux TMS, pas d’effet démontré des exercices physiques au travail

Pourtant, à ce jour, le lien entre la pratique d’exercices physiques au travail et les TMS ou les accidents de travail n’est pas démontré. Les recherches à ce sujet sont encore peu nombreuses, notamment dans le BTP. L’Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP) a par exemple publié en 2021 un « retour d’expérience » dans lequel sont rapportés une « mise en route physique et mentale », un « renforcement du collectif », « une amélioration de l’ambiance de travail ». Mais les revues de littérature scientifique qui font le point dans le domaine du BTP et dans d’autres secteurs, ne montrent pas d’effet significatif concernant les douleurs musculosquelettiques.

Des intervenants extérieurs aux pratiques hétérogènes

Plusieurs enseignements d’importance peuvent néanmoins être tirés de ces travaux. Ainsi, il en ressort que, pour la mise en place de ces actions, les entreprises du BTP font le plus souvent appel à des prestataires extérieurs (coachs sportifs, kinésithérapeutes, ostéopathes…), à la médecine du travail ou encore de membres du personnel « sportifs ».

Les séances d’exercices physiques au travail sont alors très hétérogènes selon les chantiers et les individus. Ces pratiques diffèrent, que ce soit dans la façon dont les séances sont mises en place au sein de l’entreprise ou des chantiers, ou même dans la réalisation des exercices physiques (choix des exercices, durée…). Les objectifs à l’origine de la mise en place de ces actions peuvent eux aussi varier et s’avèrent parfois peu explicites et non formalisés.

Finalement une séance d’exercice physique sur le lieu de travail semble viser non pas un seul objectif, mais plusieurs, et notamment mettre le corps dans des conditions favorables en termes d’éveil, grâce à un déverrouillage et/ou une montée en température.

Ne pas agir sur les seuls facteurs individuels et physiologiques

Cette mise en place d’exercices physiques au travail semble s’inscrire dans une approche individuelle de la prévention : mieux préparé à l’effort, l’individu sera moins exposé aux effets délétères des tâches qu’il doit réaliser. Toutes les connaissances et réglementations en vigueur insistent pourtant sur toutes les mesures collectives de prévention.

Je suis engagée dans un projet de thèse CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) en ergonomie pour lequel je suis rattachée à trois établissements : l’OPPBTP, le laboratoire ESTER (Epidémiologie en santé au travail et ergonomie) de l’université d’Angers et le laboratoire ACTé (Activité, Connaissance, Transmission, éducation) de l’université de Clermont-Ferrand en tant que chercheuse associée.

Dans ce cadre, nous menons des recherches au sein de l’OPPBTP qui visent à comprendre les raisons de cet engouement pour une approche basée sur l’individu. Nous étudions également les conditions d’une intégration efficace de ces pratiques aux démarches globales de prévention des TMS.

Identifier les prérequis à la pratique d’exercices physiques en entreprise

L’objectif de cette étude est d’identifier les conditions dans lesquelles sont réalisées les séances. En effet, pour qu’elles puissent être présentées comme des actions complémentaires dans la prévention des TMS, ces séances doivent agir sur plusieurs facteurs d’apparition des TMS, et pas seulement sur les facteurs individuels et physiologiques.

Cette recherche nous permettra d’identifier quelques prérequis à la mise en place d’exercices physiques au travail, mais aussi des conditions qui pourraient favoriser l’intégration d’une telle action à une démarche globale de prévention des TMS.

D’ores et déjà, quelques premières recommandations peuvent être émises. Elles seront détaillées et précisées par la suite, à l’issue du projet de thèse.

D’abord, améliorer les conditions de travail

En premier lieu, ces actions doivent être intégrées à une démarche globale de prévention. Ainsi, l’entreprise doit mettre en place d’autres actions de prévention des TMS qui permettent d’agir sur les conditions de travail. C’est-à-dire sur les facteurs professionnels à l’origine des TMS et qui représentent la cause principale de survenue de ces pathologies.

À titre d’exemple, les chantiers du BTP proposent très souvent des situations extrêmement sollicitantes physiquement. Les TMS proviennent ainsi d’un déséquilibre entre les capacités corporelles du travailleur et les contraintes auxquelles il se trouve exposé. Dans ce contexte, en matière de prévention, suivre des programmes d’exercices physiques, quels qu’ils soient, aura, au mieux, des effets très limités. Il faut donc d’abord améliorer les situations de travail, notamment les plus critiques.

Adapter les exercices à la situation de santé de chacun et à son métier

De plus, ces exercices physiques pratiqués sur le lieu de travail ne doivent pas avoir d’effet néfaste sur les compagnons, notamment pour ceux d’entre eux souffrant de douleurs préexistantes. Les exercices devront être adaptés à la situation de santé de tous les participants, des exercices de substitution devront sinon être proposés. Pour cette étape, il est nécessaire de se faire accompagner par des professionnels, par exemple le service de prévention et de santé au travail.

Les séances d’exercices physiques au travail doivent aussi être adaptées à la nature de l’activité professionnelle qui suivra ces séances. Ainsi, selon les métiers ou même selon l’organisation de la journée qui suit pour chaque compagnon, les séances pourraient ne pas se dérouler de la même façon.

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À titre d’exemple, un conducteur d’engins pourrait cibler un réveil musculaire, des échauffements et quelques étirements du bassin et du dos, le dos étant chez lui l’une des parties du corps les plus sollicitées par son activité professionnelle, notamment du fait des vibrations transmises par le véhicule. D’un autre côté, un chef d’équipe en maçonnerie visera plutôt une montée du corps en température (ce que l’on appelle du « cardio ») et un échauffement des chevilles, au vu du nombre de déplacements qui s’effectuent sur sol instable sur le chantier.

Une implication et des compétences spécifiques pour l’animateur des séances

L’animateur (ou les animateurs) des séances doit disposer des ressources nécessaires à l’animation des séances. Notre étude met en avant son implication lors des séances, notamment par sa capacité à contrôler la bonne exécution des mouvements et par sa maîtrise et sa connaissance des exercices qui lui permettent d’émettre des recommandations.

L’animateur doit aussi maîtriser les compétences spécifiques liées à la réalisation d’une séance. Cela dépend en partie de l’objectif que vise la séance (réveil musculaire, étirements, échauffement…). Par exemple, lorsque l’on vise un échauffement et donc une montée en température du corps, l’intensité et la durée de la séance doivent être suffisantes pour ressentir cet échauffement. De plus, le temps de transition entre la fin de la séance d’échauffement et les premières tâches professionnelles qui suivent doit être court pour maintenir le bénéfice de l’échauffement.

Des séances propices aux échanges entre compagnons

Ce temps de séance est très souvent le seul temps de la journée durant lequel l’ensemble des compagnons se rassemblent (encadrement, personnel, intérimaires et même sous-traitants).

C’est donc un temps qui pourrait permettre aux compagnons de conduire des échanges sur les actions utiles à la prévention des TMS, comme les stratégies de travail qui leur permettraient de se protéger (échanges sur des procédés plus efficients que d’autres, sur l’utilisation d’un outil plutôt qu’un autre…), ou encore sur l’organisation de la journée après la séance d’exercices et les possibilités d’entraide.

Ce temps de séance peut aussi favoriser l’anticipation et l’organisation de la suite de la journée par l’encadrement qui pourrait profiter de cette séquence pour planifier les différentes tâches à effectuer, ajuster les équipes selon les besoins et la perception de l’état des compagnons…

Au travers de cette étude, nous questionnons donc de manière plus générale la mise en place de nouveaux dispositifs proposés aux entreprises ou parfois sollicités par celles-ci. Toutes transformations du travail, qu’elles soient techniques ou organisationnelles, modifient les situations de travail, l’ensemble de ces modifications sont à anticiper en amont.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.The Conversation

Caitlin Troussier-Thévenot, Doctorante en ergonomie - Inserm UMR 1085 - Equipe d'épidémiologie en santé au travail et ergonomie (Ester), Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.